
Christelle Gauzet, bonjour. Merci de nous accorder cette interview. Vous avez été policière, vous avez gagné Koh Lanta en 2008, puis vous vous êtes lancée dans l’associatif en créant les Défis d’Elles. Apparemment, les aventures ne vous font pas peur… Alors, on vous a préparé une interview Défi. Prête ?
Allez, je suis prête.
On va commencer dans l’enfance. Petite, étiez-vous déjà du style à lancer ou accepter des défis ? Votre surnom était-il « même pas cap » ?
(Rires) C’est à peu près ça. J’ai eu la chance de vivre mon enfance dans une maison, avec une forêt tout autour. Alors j’allais construire des cabanes, sauter par-dessus les ruisseaux, je tombais bien évidemment dans l’eau. J’empruntais les vélos de ville pour aller sur les terrains faire du bicross. Je suis beaucoup tombée, j’ai beaucoup pleuré, je me suis fait plein de bobos d’enfants, mais je me relevais et je recommençais. Je pense que c’est ce qui m’a appris à chuter.
J’ai un souvenir précis de ce moment où j’ai failli devenir borgne ; j’avais attaché un Sandow (tendeur) à une racine pour escalader une botte de terre. Évidemment, ça a lâché et je me suis pris le tendeur entre les deux yeux. Ça a saigné pendant des heures, j’ai fini à l’hôpital… Voilà, j’étais une vraie cascadeuse.
Le moment où vous avez découvert que vous étiez intrépide, que vous cherchiez toujours à vous dépasser ?
J’ai toujours été sportive, j’ai pratiqué toutes sortes de sports, du football au judo en passant par le tennis et l’athlétisme, pour la plaisir de l’effort, mais aussi pour montrer que les femmes sont tout autant capables que les hommes. Un peu par défi et par adoration de mon père, dont j’ai exercé le métier de policier. Mais le moment où j’ai découvert que j’étais intrépide c’est avec Koh Lanta. Ma mère adorait l’émission, je la regardais avec elle, elle m’a dit que ce serait super de participer, j’ai postulé et voilà. Je n’ai pas vraiment réfléchi. Lorsque j’ai été sélectionnée, mon départ a d’abord été refusé par la Police Nationale. La production a insisté auprès d’eux et m’a rappelée quinze jours avant le grand départ pour me dire que je faisais partie de l’équipe. C’est au cours de cette aventure unique que j’ai découvert la place du mental. Pas seulement dans les épreuves physiques, mais aussi face aux autres et face à la faim qui est toujours présente. Je savais que la police m’attendait au tournant, je savais aussi et surtout que je ne voulais pas décevoir mes parents… J’ai vécu des choses très fortes pendant ces quarante jours. Là, j’ai compris beaucoup sur moi.

La dernière fois que vous avez eu peur d’un défi ?
Je sais que ça peut surprendre, mais ce n’est pas lors d’une épreuve physique. Car ce qui m’impressionne le plus, ce n’est pas de tomber ou de me faire mal, mais de faire face aux autres. De décevoir ceux que j’aime ou ceux qui attendent quelque chose de moi. Alors l’épreuve qui m’a le plus impressionnée, c’était lorsque la BPI m’a demandé d’intervenir pendant sept minutes pour leur édition 2018 de BpiFrance Inno à Bercy. Quarante mille entrepreneurs réunis. J’attendais depuis le matin pour parler sept minutes et raconter mon parcours. J’avais préparé mon discours, mais je devais passer à seize heures, juste après Muriel Penicaud… Rien que ça ! Plus le temps passait, plus je me sentais mal. Je suis montée sur la scène avec un trac de folie et il m’est arrivé quelque chose de fou au milieu de ces sept minutes : je n’avais plus de salive, pas d’eau à disposition, l’angoisse totale. Je me suis arrêtée de parler, et j’ai dit, la voix enrouée « ici, c’est bien plus dur que Koh Lanta ». Les gens ont ri, et le fait d’avouer ma peur m’a remise sur pied. En fait, je traîne cette peur depuis mon enfance, je perdais mes moyens lorsqu’on me demandait de passer au tableau. J’ai peur de ne plus être aimée. De décevoir ceux qui m’aiment, de ne pas être à la hauteur…
Mon métier m’a permis de m’endurcir, de me construire une carapace et de cesser de pleurer. Et l’expérience de vie continue de me renforcer.
Le moment où vous avez réalisé que c’était devenu comme une seconde nature, toujours plus haut, toujours plus loin ?
Là où j’ai commencé à m’épanouir dans ces défis, c’est avec les raids. Après mon aventure Koh Lanta, j’avais 28 ans. Le premier raid auquel je me suis inscrite, c’est le raid des amazones. J’ai découvert une forme de dépassement que je n’avais encore jamais expérimentée. Un dépassement en équipe, la force de ce défi entre femmes. Là, ma volonté de ne pas décevoir m’a portée, je voulais aller plus loin pour ma coéquipière. Je n’ai pas gagné lors de ce raid mais nous avons frôlé le podium. Alors, après, j’ai enchaîné avec le raid des sahariennes, les courses semi et marathons, j’ai trouvé mes sponsors, j’ai soutenu des associations, je me suis engagée et j’ai aimé cela.
Le plus beau de vos défis, celui dont vous êtes vraiment fière
Le raid Défi d’Elles, le premier que j’ai organisé en 2017 sur le Bassin d’Arcachon, sans hésitation. C’est à partir de là que j’ai pris une dispo de la police pour organiser les raids Défi d’Elles. Jusque là, j’aimais mon travail, j’étais fière d’avoir enfilé le costume de mon père, mais cette énergie positive qui se dégageait dans cette organisation, ces femmes ensembles, c’était moi. J’avais vraiment trouvé ce qui me convenait et m’épanouissait. Et chaque jour, je constate que j’ai fait le bon choix. J’ai encore plein de projets, plein de choses à découvrir. Par exemple, avec le prochain raid, destination Laponie Man & Woman by Défi d’Elles, du 11 au 15 février 2021. Un raid mixte pour la première fois. Parce que nos raids n’étaient pas à la hauteur pour satisfaire les hommes en terme d’exigence physique, là, j’ai organisé un raid mixte, dans lequel les femmes et les hommes fonctionnent ensemble. Je me sens libre, même si je suis plus angoissée, cherchant toujours à donner le maximum. Je ne me lasse pas.

Bon, alors, à vous entendre, tout ça a l’air si simple… Mais dans la vraie vie, que faut-il faire pour ne pas avoir peur de se lancer dans les défis, selon vous ? Comment retranscrire cela dans la vie de tout-un-chacun ?
Je pense que la première chose à faire est de se débarrasser des croyances de type « ça, c’est pas pour moi » ou « non mais je n’y arriverai jamais ». S’entourer de personnes qui ont déjà accompli le défi, des personnes inspirantes, qui ont osé sortir de leur zone de confort pour tenter autre chose. Mais en fait, il faut surtout en avoir envie et être curieux.
Ne pas avoir peur de l’échec. Se dire que ce n’est pas grave d’échouer, le plus important est de se tester, de vivre l’aventure. De pouvoir se dire « je l’ai fait », c’est déjà un grand succès. Alors, moi, ce que je fais, c’est que je me mets en position de ne plus pouvoir renoncer. J’en parle, j’implique ceux que j’aime dans ma démarche et, comme le plus important pour moi est de ne pas les décevoir, je suis obligée d’aller au bout. Parce que tout est une aventure humaine au fond…
Merci Christelle.
Cette interview a été menée par téléphone, lors du grand confinement mis en place pour lutter contre la pandémie du Coronavirus.